La tentation du consensus : un leurre !

Modifié par Clemni

On peut comprendre qu'un pays qui a traversé pendant plus de quarante ans – de 1642 à 1689 – une période sombre et sanglante de révolutions et de guerre civile rêve de consensus, concède David Hume (1711-1776) dans son essai De la coalition des partis, qui date de 1760 et dont un postulat majeur est que « l'animosité ancienne entre les factions ne reposait que sur des préjugés étroits et des passions intéressées ». Ainsi va l'analyse de Hume :

« Abolir toute distinction de parti n'est pas réalisable, ni peut-être même souhaitable, dans un régime libre. Les seuls partis dangereux sont ceux qui entretiennent des vues opposées concernant les principes essentiels du régime, la succession de la couronne ou les privilèges les plus importants des différents membres de la constitution, dès lors qu'il n'y a point de place pour quelque compromis ou accommodation que ce soit et que la controverse peut paraître assez grave pour justifier même une opposition armée aux prétentions des adversaires. De cette nature fut l'hostilité qui, pendant plus d'un siècle, opposa les partis entre eux en Angleterre ; une hostilité qui dégénéra parfois en guerre civile, provoqua de violentes révolutions et menaça continuellement la paix et la tranquillité de la nation. Mais on a vu récemment apparaître les signes les plus frappants d'un désir universel d'abolir ces distinctions de parti ; et comme une telle tendance à la coalition ouvre la perspective la plus agréable sur notre bonheur futur, elle devrait être soigneusement chérie et favorisée par tous ceux qui aiment leur pays.

Il n'est pas de méthode plus efficace pour avancer vers un but si louable, que d'éviter toute insulte déraisonnable et tout triomphe d'un parti sur l'autre, d'encourager les opinions modérées, de trouver pour chaque dispute le médiateur approprié, de persuader chacun que son adversaire peut être parfois dans le vrai, et de tenir la balance égale entre les louanges et les blâmes que nous décernons à chaque parti. » (trad. Fabien Grandjean, éd. bilingue Trans-Europ-Repress, Mauvezin, 1993, p. 211-212)

À condition donc qu'elles soient exprimées de manière policée et argumentée, les dissensions ne menacent pas la paix ; à condition aussi et surtout qu'on s'assure qu'au terme des affrontements, aucun parti ne triomphera en considérant son adversaire comme vaincu. C'est qu'un triomphe est une victoire qui se prétend absolue et éternelle, alors que, en réalité, toutes les victoires sont partielles, relatives et limitées dans le temps. La vérité, qui est notre bien commun, ne saurait appartenir à aucun camp ni aucun parti qui, au mieux, n'en détiennent qu'un aspect.

Dans la cité, le philosophe trouve ainsi sa place, non dans les arrière-cours des partis politiques – pour leur fournir un prétendu fond théorique – mais au beau milieu de la mêlée, entre les partis qu'il doit avoir à cœur de maintenir séparés et à bonne distance, et auxquels il reconnaît publiquement, chaque fois que c'est le cas et de façon équilibrée, le mérite d'une proposition sage ou d'un constat juste.

Questions

  • Appuyez-vous sur la lecture du texte ci-dessus pour énumérer les conditions requises pour que le débat politique ne dégénère pas en incivilités, voire en guerre civile.
  • Pensez-vous que, dans un pays démocratique, la pratique des arts plastiques ou celle d'un sport collectif puissent contribuer à s'éduquer à la civilité ? à la liberté politique ?

Source : https://lesmanuelslibres.region-academique-idf.fr
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